Offrande de tabac

L’expression « protocoles d’offrande de tabac » renvoie uniquement à ce qu’on appelait « tabac » avant la venue des Européens, même si, de nos jours, seul le tabac produit après l’arrivée de ces derniers est disponible. On a demandé au Waokiye (aide traditionnel en lakota) Don Speidel quels sont les protocoles que les enseignants devraient connaitre lorsqu’ils offrent du tabac à des ainés ou à des gardiens du savoir. Voici sa réponse.

[Traduction libre] Le tabac est un élément à la fois familier et mal compris de notre culture. Il est difficile de standardiser quelque chose comme les protocoles s’y rapportant parce que ceux-ci dépendent tellement de la personne dont un ainé ou un gardien du savoir les a appris ainsi que de la Nation et du groupe culturel et linguistique auxquels l’ainé ou le gardien du savoir appartient. Le protocole à suivre dans un cas particulier dépend aussi de ce que l’enseignant demande. À Saskatoon, nous avons une multiplicité d’ainés, d’adjoints d’enseignement et de groupes culturels œuvrant à faire connaitre les traditions. Alors, il n’existe pas de protocole unique à respecter.

Toutefois, il y a une chose que les non-Autochtones devraient savoir, et c’est que l’offrande de tabac est le sésame, le point de départ pour qui veut amorcer une conversation ou demander des renseignements particuliers. Le tabac est destiné à faire divulguer des connaissances, à y donner accès ou à permettre de prendre conscience de certains sujets.

Il y a différentes façons d’offrir du tabac. Ce peut être : a) une petite ou une grande quantité de tabac mise, à la main, en manoques de différentes tailles enveloppées de drap d’une certaine couleur et attachées avec une ficelle de matière naturelle (non synthétique); b) une blague de tabac du commerce; c) un paquet de cigarettes ou d) parfois même, une seule cigarette. Les transmetteurs du savoir autochtone suivront vraisemblablement un protocole particulier, selon que l’évènement revêt un caractère public (ex., visite dans une salle de classe) ou sacré (ex., cérémonie de la suerie). Ce qui compte, c’est honorer la personne dont on sollicite le savoir ou à qui l’on demande de prendre la parole devant une classe d’élèves de même que le savoir et la sagesse qu’elle a acquis au fil d’une longue expérience, auprès d’une autorité supérieure ou encore de ses ancêtres par l’intermédiaire de ses enseignants actuels, et qu’elle s’apprête à partager.

Alors, il importe d’apprendre à connaitre cette personne. Autant que possible, prenez le temps de vous entretenir avec elle avant la tenue de l’évènement et, à coup sûr, avant de lui offrir le tabac. Dites-lui ce que vous aimeriez qu’elle fasse, puis demandez-lui simplement quel serait son protocole en pareil cas. Tout dépendant de la nature de la demande et des traditions du gardien du savoir en cause, il se pourrait bien que celui-ci veuille une ou plusieurs manoques enveloppées dans du tissu. En lui posant la question à l’avance, vous aurez la possibilité d’être bien préparé à respecter le protocole lorsque vous rencontrerez cette personne, pour apprendre ce que vous désirez savoir, ou lorsqu’elle rendra visite à votre classe.

Nous avons conscience que certains enseignants éprouvent de l’angoisse à l’idée d’offenser un Autochtone par inadvertance en commettant une erreur. Il ne faut pas tant vous en faire! Sinon, vous vous priverez de la satisfaction que procure le moment où le tabac offert est accepté. Un ainé ou un gardien du savoir est certes capable de reconnaitre les bonnes intentions d’un enseignant. Et dans la mesure où vous agissez avec respect et une sincère humilité, les choses tourneront bien même s’il y a manquement au protocole.

L’offrande de tabac établit ou conforte une relation. La personne qui reçoit le tabac a certaines obligations protocolaires en ce qui le concerne. Elle peut faire une courte prière au nom de ceux qui le lui ont offert, surtout si c’est pour sa participation à une activité spirituelle en tant qu’ainé. C’est en quelque sorte comme signer un contrat. Lorsque la personne qui présente le tabac et celle qui le reçoit ont convenu de l’objet de la demande (p. ex., la présence de cette dernière à une réunion ou sa visite dans une salle de classe), la personne recevant le tabac fait une prière sur l’offrande en vue de la réussite de ce qui est demandé. Elle peut prier pour que l’information qu’elle transmettra ne soit pas mal comprise ni considérée comme irrespectueuse et qu’on en fasse bon usage.

Chez les Autochtones, il y a une loi naturelle, une loi traditionnelle, un principe à suivre que nous essayons tous de respecter. Il existe une certaine convention régissant l’utilisation et le partage du savoir et de la sagesse autochtones. La personne transmettant ce savoir et la sagesse qu’il recèle doit être consciente des limites de sa propre compréhension et observer la loi naturelle du partage du savoir et de la sagesse, en admettant ses limites avec honnêteté lorsqu’elle parle à la personne lui offrant le tabac. Le fait d’être un citoyen autochtone ne signifie pas qu’on est une source d’information faisant autorité. Avoir l’humilité de reconnaitre ce qu’on ne sait pas et de l’admettre ouvertement est un signe de respect du principe ou de la loi du partage du savoir et de la sagesse autochtones. Les ainés et les gardiens du savoir ont chacun leur domaine de compétence et d’exercice. Nous devons nous prémunir contre la détérioration possible de nos coutumes et principes. L’offrande et l’acceptation de tabac sont un moyen de reconnaitre les lois ancestrales du partage du savoir et de la sagesse.

En tant que transmetteur du savoir, j’ai la responsabilité d’avoir conscience de ce que je sais et de déterminer quelles connaissances transmettre à chaque occasion. Je ne veux pas rendre les gens confus en leur communiquant trop de détails ou d’idées. En observant notre loi naturelle, notre principe du partage du savoir, nous protégeons les gens. Il serait inapproprié pour un humain de parler au nom d’un autre humain. Toutefois, il est approprié pour lui de partager honnêtement ce qu’il sait conformément aux protocoles respectant la loi naturelle. Ce savoir ne peut être un savoir livresque. Ce pourrait être un savoir assimilé à côtoyer des ainés pendant de nombreuses années. Ce pourrait aussi être un savoir acquis en allant, année après année, observer les éléments de la nature tout en jeûnant pendant un certain nombre de jours. Par exemple, peut-être avez-vous appris beaucoup sur le monde des fourmis. Vous les avez vues évoluer dans leur habitat naturel au fil du temps et, à un moment donné, le Créateur vous a révélé quelque chose dont vous pouvez maintenant parler. Ce type d’apprentissage ne diminue en rien le processus valide et authentique de production de connaissances scientifiques. C’est seulement que, dans le monde autochtone, le processus d’authentification est différent.

Nous ne voulons pas rendre le partage de notre savoir compliqué. Il y a toujours un point de départ, qui ne devrait pas être difficile à établir. Il suffit d’agir avec sincérité et de montrer de l’enthousiasme à l’idée de participer à quelque chose de nouveau ou de différent. La première chose que font les vieilles gens, c’est montrer de l’enthousiasme à l’idée de partager quelque chose avec nous. Cela fait partie de l’Esprit. Vous faites en sorte que les gens se sentent à l’aise de montrer de l’enthousiasme, qu’ils appartiennent à votre culture ou non. L’Esprit est présent. Vous honorez sa présence d’une manière quelconque, en vous efforçant de ne pas ôter aux gens le désir d’essayer ou d’expérimenter quelque chose où l’Esprit est une source de motivation. Vous les renseignez avec tact, d’une manière indiquant que vous souhaitez cultiver l’enthousiasme qu’ils manifestent.

Les non-Autochtones devraient savoir que les perturbations résultant de la colonisation ont retiré les Autochtones de terres leur fournissant une abondance de plantes médicinales. Nous avons été placés dans des réserves où les plantes traditionnelles, comme le tabac naturel, n’existent pas et ne peuvent pas pousser. Si nous avions été autorisés à maintenir notre mode de vie, nous utiliserions aujourd’hui les formes traditionnelles de tabac plutôt que le tabac du commerce, qui est toxique et crée une réelle dépendance.

Les membres de nos réserves commencent maintenant à s’intéresser à l’agriculture en vue de rétablir l’usage de plantes importantes qui sont presque disparues. Mais les terres que nous occupons sont peu productives. Alors, nous n’avons pas d’autre choix que d’acheter du tabac du commerce, qui est plein de nicotine. Autrement, nous ne pourrions pas maintenir nos valeurs et nos modes traditionnels.

Plusieurs conditions sont importantes à nos yeux : Qui a cultivé le tabac? Dans quel but et de quelle façon? A-t-on observé des protocoles pour remercier la Terre, mère nourricière, et aider à maintenir son équilibre? Dans l’optique d’une entreprise commerciale, le tabac est un moyen de faire des profits. Pour nous, il sert à des cérémonies de toutes sortes, aussi bien de grandes cérémonies que des cérémonies privées. Même quand nous utilisons du tabac du commerce, comme nous y sommes obligés, nous essayons de recréer les usages traditionnels du tabac naturel.

Ainsi, quand une personne-ressource autochtone à qui on demande de faire une visite dans une salle de classe se voit offrir une blague de tabac quelques jours à l’avance, c’est pour elle une occasion de faire ressortir le bon usage traditionnel du tabac en faisant des prières en vue du bon déroulement de sa visite.

Une autre façon de « purifier » le tabac du commerce consiste à le soumettre à une purification par la fumée avant de l’offrir. Cela lui rend sa qualité et fait que tout le monde sait à quoi il est censé servir. Vous investissez votre énergie personnelle dans le tabac que vous préparez vous-même pour une occasion particulière. La personne recevant le tabac ressent cette énergie et les intentions qu’elle véhicule.

Dans certaines écoles élémentaires, il peut survenir un malentendu quand un enseignant considère le tabac uniquement dans sa forme moderne, qui peut créer une dépendance, plutôt que de reconnaitre que le terme a deux significations et d’accepter de ce fait sa signification autochtone traditionnelle. Ce genre de méprise peut amener l’enseignant à dissimuler le tabac en l’enveloppant dans du papier mince coloré ou dans du tissu pour que les élèves ne puissent pas voir ce qui est offert au visiteur autochtone. L’enseignant peut craindre que l’offrande de tabac ne soit interprétée comme faisant la promotion du tabac du commerce – qui, comme il a été dit, peut causer une dépendance – ou celle d’un fabricant de tabac particulier, ou encore comme encourageant les enfants à fumer. Or, les enfants peuvent facilement comprendre que ce geste vise seulement à respecter les bonnes intentions associées au tabac dans la culture autochtone, et qu’on utilise le tabac comme si c’était le produit naturel, non celui du commerce. Il n’y a donc aucune raison de cacher le tabac aux regards lorsqu’on observe les protocoles autochtones y faisant appel.